Le bleu de travail, c’était à l’origine une Veste de tissu bleu, fait d’une simple cotonnade assez rugueuse. Le bleu est d’abord une tenue professionnelle portée par les ouvriers. Cette veste de travail doit être solide, et sa coupe est à l’origine identique d’un travailleur à l’autre. Comment se fait-il, dès lors, que les sylphides actuelles des podiums de haute couture affichent désormais leur propre version, fashionista et ultra-tendance, du fameux bleu ? C’est que le bleu de travail n’a pas dit son dernier mot.
Les origines
A la base, le bleu de travail est d’abord une veste, portée sur les vêtements de ville, pour les protéger. Sa création, et son utilisation, remontent au XIXème siècle. Suite à la révolution industrielle, à l’augmentation du nombre des usines et des ouvriers, il se généralise dans tous les secteurs du travail d’usine, et même plus largement du bricolage et du travail manuel. Rapidement, le bleu de travail devient le signe distinctif des ouvriers. Il les distingue des « cols-blancs », en chemise de ville, ou des responsables et chefs d’ateliers, qui eux arborent une blouse grise, ou blanche, pour se protéger des salissures. Le bleu de travail rassemble les ouvriers, et fait leur fierté. C’est le premier vêtement professionnel de masse.
Ses caractéristiques
La principale caractéristique du bleu de travail, c’est sa couleur. Pourquoi ce bleu intense, franc, finalement moderne ? Parce que c’est une couleur bon marché au XIXème siècle, et peu salissante.
Elle vient concurrencer l’outremer, une autre sorte de bleu profond, extrêmement cher à l’époque car obtenu par broyage de la pierre fine de lapis-lazuli. La formule chimique du bleu d’outremer ne sera inventée que plus tard, au XIXème siècle.
Avant cela, c’est un marchand de couleurs berlinois qui en découvre la formule chimique du bleu de Prusse, dans son laboratoire. Johann Jacob Diesbach créé le premier pigment synthétique de bleu vers 1706, un bleu profond confectionné à base de cochenille, de sulfate de fer et d’alun.
Bien que travaillant à Berlin, il était Suisse.
La postérité s’est souvenue de lui grâce à la couleur inventée par lui, alors qu’à l’époque c’est plutôt son patron, propriétaire du laboratoire, qui était connu. L’allemand Johann Conrad Dippel, distingué théologien, alchimiste et physicien, suscitait en son temps l’intérêt ou le scandale, pour ses dissections d’animaux et ses actives recherches visant à transférer les âmes d’un corps humain à un autre, en utilisant (ne riez pas) un entonnoir. L’histoire se souviendra donc du laboratoire de Dippel comme ayant été le théâtre de la découverte d’un bleu bien réel, et très rapidement commercialisé dans toute l’Europe, le bleu de Prusse.
Aussi appelée « bleu de Berlin » en Europe, ou « iron blue » par les britanniques, la belle couleur synthétique inventée par Diesbach reçut aussi parfois le nom de « bleu hussard », car elle remplaça la couleur noire dans les uniformes de l’armée prussienne, vers les années 1720 : les régiments d’infanterie de ligne abandonnèrent leur livrée blanche et noire, pour passer au blanc et au bleu de Prusse. Quel que soit le nom qu’on lui donne, l’avantage de cette nuance de bleu est d’être abordable et plutôt facile à concevoir, car elle est synthétique.
Une autre caractéristique du bleu de travail, c’est d’être un vêtement ample, car il se porte sur des tenues de journée, éventuellement simplement faites de sous-vêtements. C’est en quelque sorte l’uniforme de l’ouvrier. Le bleu de travail couvre non seulement le corps, mais souvent aussi les bras et les jambes. Ce faisant, il protège mieux qu’un simple tablier. La mission du bleu de travail est de protéger l’ouvrier des salissures, et de risques du travail tels que griffures, coupures et prises de tissus par les rouages des machines, dont les cadences ne cessent d’augmenter. C’est ainsi, Pour les professionnels, l’un des premiers instruments d’affirmation des normes de sécurité au travail. Ultime caractéristique, le bleu de travail a souvent des poches, pour recueillir des outils.
Multipoches, il permet d’avoir ce dont on a besoin sous la main et de travailler ainsi plus efficacement. Mais au fil des âges, sa forme et sa coupe vont considérablement évoluer.
L’évolution du bleu de travail
Le bleu de travail est d’abord une veste, plutôt longue puisqu’elle est destinée à protéger les vêtements qu’elle couvre. C’est alors une simple blouse, serrée à la taille par une ceinture. Le mot « blouse » lui-même vient de l’anglais « blue », bleu. La gamme des bleus de travail couleur d’océan va ensuite s’enrichir de salopettes, à bretelles, ou de pantalons de travail avec hauts à manches longues. Dans ce dernier genre, le bleu de travail se trouve en combinaison intégrale, ou en tenue faite de deux pièces séparables, le haut et le pantalon comme chez ce spécialiste du vêtement de travail. Le bleu de travail s’adapte ainsi aux mouvements et aux nécessités de chaque métier qui le porte. Il est disponible en modèles masculins ou féminins, dans toutes les tailles. Il arrive même qu’il ne soit plus forcément bleu foncé, et s’affiche d’une autre couleur. L’essentiel est qu’il soit pratique, facile à laver, et beau !
Le bleu de travail dans la culture
Car le bleu de travail est incontestablement un élément clé de la culture d’entreprise. Il est souvent fourni par l’employeur lui-même, et brodé aux initiales ou avec le logo de l’usine ou de l’atelier. C’est aussi un signe d’appartenance culturelle en général. Le bleu de travail affirme des valeurs de travail soigné et d’efficacité. Il revendique la fierté de ses origines populaires.
Il est même un peu pop.
Tout le monde se souvient du bleu de travail intégral, avec (sages) poches poitrine à fermeture éclair, de marque Agnes B, qu’avait arboré la jeune chanteuse Jain en 2018 dans son clip feel good. A l’époque, impossible de passer à côté de sa ritournelle « It’s gonna be all right » (tout ira bien). La chanteuse française d’origine toulousaine, contrairement à ce que semblaient indiquer son nom de scène, ou les paroles de ses chansons en anglais, était terriblement à la mode et savait comment s’habiller. Elle le disait elle-même, elle se voulait ainsi en « incarnation du travail, des ouvriers. Cela rappelle que les musiciens sont des artisans. » Comment mieux le dire ? La jeunesse a l’amour du travail bien fait. Nous voilà rassurés.
Le bleu de travail actuel délivre un message, celui d’une mode authentique et simple, libérée des extravagances et des couleurs de perroquets que nous ont infligées les années 70 à 90. Enfin, on est dans l’épure. On a même vu, en 2018, une combinaison zippée, féminine et intégrale, dans une jolie couleur rose pâle, chez la marque de prêt à porter chic Sandro, ou toute une gamme de vestes de travail pour homme, citadines et bleues, chez Celio. Il n’est pas forcément obligatoire d’aller travailler avec.
Des usines aux catwalks
Aujourd’hui, le bleu de travail se retrouve même sur les podiums de mode. Avec cette belle couleur lapis lazuli, et cette coupe rustique, il aurait été étonnant que les créateurs des plus hautes maisons de couture ne s’emparent pas du vêtement !
Dès l’automne 2002, les stylistes créateurs de la maison de couture néerlandaise Viktor and Rolf présentent un modèle de bleu de travail intégral, pantalon et veste cousus ensembles, dont les manches over sizes sont parsemées de multiples poches. L’effet est étonnant, et tellement actuel. Depuis, les créateurs ne lâchent plus le bleu de travail.
A l’automne-hiver 2015, c’est le styliste de mode coréen Juun J. qui présente sur les podiums parisiens un modèle masculin, avec grosses poches à rabats sur le torse, et des sangles très fashion, qu’on laisse pendre le long du corps, pour donner du mouvement à l’ensemble.
La grande maison Dior elle-même a revisité le bleu de travail dans sa collection automne hiver 2017-2018, avec une veste bleue de Prusse à la taille cintrée très féminine, porté sur un long jupon en tulle aérien, forcément pâle, presque virginal. Le défilé Kenzo printemps-été 2017 présente quant à lui une version ultra-classique de la combinaison de travail intégrale, veste et pantalon bleu dur, coupe large et grandes poches à rabats sur la poitrine.
Fin 2018, la tendance work-wear (uniforme de travail) est définitivement adoptée, avec des stylistes de renom qui osent même proposer des mannequins, hommes ou femmes, non plus en chaussures de cuir ou en talons hauts, mais chaussés de bottes en plastique à semelle crantée, et vêtues d’uniformes de chantier orange. Ce sont les très renommés Calvin Klein, Burberry, et Prada, qui font sensation avec leurs versions revisitées du bleu de travail, qui n’est même plus bleu.
Le bleu de travail est donc devenu tendance, et il ne se porte plus forcément pour travailler. Son côté rustique, un rien vintage, s’associe fort bien avec les visages d’anges et les silhouettes élancées des égéries de la mode.
Le bleu garde sa couleur, ses boutons apparents, mais on ne le trouve plus seulement dans les magasins professionnels ou sur les étals des fripiers. Il est devenu chic, et parfois très cher. Quel comble pour un vêtement d’ouvrier !
Comment on le porte ?
Ce qui plait dans le bleu de travail, c’est sa belle couleur, c’est la solidité de ses tissus. Mais c’est aussi l’affirmation d’une idée : le bleu de travail permet à ceux qui le portent d’éprouver un sentiment positif d’appartenance à une équipe, ou à un métier. C’est un signe de fierté, de fierté du travail bien fait. Et cette idée n’a rien de vintage.
L’époque moderne utilise le bleu de travail dans des coupes de vestes plus courtes qu’au siècle dernier. Il est idéal comme veste de demi-saison, et sa couleur s’accorde avec tout. On le porte comme une veste en jean, il devient élégant et passe facilement de l’atelier à la ville, de l’après-midi à la soirée. Cette saison, on joint l’utile au confortable en le portant en combinaison zippée à poches, de belles pièces sont à shopper sur Asos ou chez Na-Kd.
Pour les hommes, le bleu de travail se porte à l’authentique, avec un jean bien taillé, d’une teinte légèrement plus claire que son bleu profond, et des sneakers beiges, ou bleu marine. Pour les femmes, il met en valeur une taille fine, une jupe ample et courte au genou. Son bleu brut s’associe fort bien avec la couleur d’un rouge à lèvres rouge vif : il devient classique. C’est la veste idéale des sorties shopping en ville, des ballades dans une forêt qui n’est ni lointaine, ni exubérante. Le bleu de travail est devenu city chic.
Roi des vêtements de travail, le bleu est devenu un élément de la garde-robe à part entière. Il refuse désormais de se cacher dans les casiers d’usines. Il n’est plus seulement utilitaire, il a conquis sa place dans tous les dressings. On s’habille comme grand-papa, mais c’est pour jouer au citadin branché. Le bleu de travail actuel répond sans doute à la quête d’authenticité des temps modernes.
La diversité des coupes actuelles permet finalement de s’approprier le bleu de travail à tout moment de la journée, en toute occasion. Un peu comme un jean bien coupé, la petite robe noire des cocktails ou la marinière des bords de mer, il n’est jamais démodé.